L’île caribéenne de Guadeloupe n’a jamais eu de cesse d’aviver les passions voyageuses et d’exciter la curiosité des amoureux de la nature. Pourtant, qui en dehors de ses habitants se trouve en mesure de parler de l’un de ses trésors les plus discrets : la réserve Petite Terre et son phare séculaire ?
L’un des joyaux méconnus de la Guadeloupe
Gérée par l’ONF (Office National des Forêts), la réserve a acquis son statut depuis 1998, après une longue histoire de présence humaine.
Bien avant l’implantation des Européens dans la région, les tribus amérindiennes Arawaks et Caraïbes y séjournaient déjà de manière plus ou moins régulière à partir de 600 à 1500 av. J.-C., comme l’indiquent un bon nombre de vestiges archéologiques. À ceux qui douteraient de la véracité de la chose, les multiples tessons de poterie ou instruments de pêche serviront de preuve tangible que, jadis, des êtres humains occupèrent ces terres émergées. Plus proche de notre ère, Christophe Colomb rencontra ces tribus de chasseurs-pêcheurs lorsqu’il aborda l’île en 1493, évènement qu’il relatât à son retour.
En dépit de l’ancienneté de sa découverte par les navigateurs d’Europe, la colonisation de Petite Terre n’eut lieu qu’au XVIIe siècle, à partir de l’île voisine la Désirade. Encore aujourd’hui, il est possible de voir, en de multiples points de la réserve naturelle, les murets de pierre destinés à délimiter les parcelles des paysans, signe d’une organisation efficiente de l’espace disponible — restreint. L’agriculture locale débuta avec le coton, avant d’évoluer vers des légumineuses et tubercules en raison des difficultés de se procurer de l’eau douce. En effet, il n’existait alors aucune source connue — ce qui rendait Petite Terre particulièrement inhospitalière. Toujours est-il que des familles y séjournèrent de manière temporaire ou permanente.
Le « Phare du bout du monde »
Parmi les vestiges historiques qui parsèment la réserve de Petite Terre, il en est un qui se dresse toujours fièrement sur sa côte est : le plus ancien phare de Guadeloupe, surnommé le « Phare du bout du monde ».
Haute de vingt mètres, sa tour culmine à 35 mètres au-dessus du niveau de la mer. Son système d’éclairage, aujourd’hui entièrement automatisé, poursuit la mission de l’ancien propriétaire de l’île : Adrien Thionville. Notaire à la Désirade et Pointe-à-Pitre, il acquit la charge de Petite Terre en 1826. Sa tâche était de protéger le passage maritime aux abords de l’îlet, en raison des risques créés par la présence des hauts fonds et des récifs coralliens. En l’absence de phare, la seule solution était d’allumer sur le rivage d’immenses boucans (feux) pour permettre aux navires naviguant dans ce secteur d’éviter de s’échouer. Cette mission quotidienne le mena à demander à l’administration coloniale, en 1828, l’édification d’un phare.
Soutenu par les capitaines de la marine marchande, Thionville obtint satisfaction le 24 mars 1834 avec la validation du projet. Ce sera le maître ouvrier Pierre Texier, supervisé par le service des Ponts et chaussées, qui se chargera de l’ouvrage, qui inclut un paratonnerre et le forage d’un puits en sus de la tour et de sa lanterne, à partir de pierres calcaires importées du continent. Le chantier durera 3 ans, et s’achèvera en novembre 1839. Le « phare du bout du monde » se voit mis en activité le 9 juillet 1840, grâce à une lanterne visible jusqu’à 15 miles nautiques, fabriquée à Paris.
Le phare de Petite Terre et les édifices attenants sont inscrits aux Monuments Historiques depuis le 28 mars 2002.
Réserve de Petite Terre : palais de la biodiversité
Composée de deux îlets (Terre de Haut et Terre de Bas) séparés par un chenal de 150 mètres de large, la réserve de Petite Terre forme un ensemble remarquable du point de vue écologique. Pour la Guadeloupe, elle constitue un enjeu emblématique en ce qui concerne la conservation des habitats et de la biodiversité.
Avec sa superficie de 990 hectares (148ha émergés pour 842ha maritimes), cet espace naturel sert de lieu de ponte à plusieurs espèces de tortues marines et abrite la plus importante population d’iguanes des Petites Antilles. C’est aussi un refuge pour de nombreux oiseaux et un sanctuaire propice à l’hivernage, notamment pour la Petite Sterne et l’Huîtrier d’Amérique. On dénombre environ 150 types d’oiseaux différents. Enfin, le lagon et le récif corallien favorisent les populations de poissons en les protégeant de la houle, ce qui permet à ces eaux d’être particulièrement riches.
En ce qui concerne la flore, la réserve de Petite Terre abrite le dernier peuplement originel de gaïac, arbre à bois dense de taille réduite qui a pratiquement disparu dans la région. À ce titre, le gaïac illustre à merveille l’importance cruciale que revêt la préservation de cet espace naturel pour la Guadeloupe et ses habitants.
À noter que seule Terre de Bas peut s’explorer, de façon strictement réglementée, à l’aide du sentier pédagogique. L’îlet Terre de Haut, lui, n’est accessible qu’aux scientifiques et aux gardiens de la réserve de Petite Terre. Nonobstant cela, ou, plutôt, grâce à ce soin qu’on lui apporte, cette perle des Caraïbes conserve tout son pouvoir d’attraction auprès de ses visiteurs.